“Les comportements électoraux des Français ont évolué de manière spectaculaire”
Jérôme Fourquet est analyste politique, expert en géographie électorale et directeur du département Opinion à l’institut de sondage Ifop.
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Veröffentlicht : vor 2 Jahren durch Laure de Charette in Politics World
J’avais en tête deux objectifs. Je voulais d’abord essayer de dresser un panorama du paysage électoral français contemporain, afin de faire toucher du doigt au lecteur l’ampleur des transformations électorales auxquelles nous avons assisté ces dernières années. Un exemple : le Parti Socialiste, emmené par Anne Hidalgo, et Les Républicains, sous l’égide de Valérie Pécresse – deux partis qui ont façonné la vie politique française pendant cinquante ans – n’ont obtenu à deux que 6,5 % des voix en 2022. C’est un big bang spectaculaire ! J’ai ensuite voulu me servir de la géographie électorale comme d’une clé d’entrée pour raconter toutes les mutations économiques, sociales, paysagères et culturelles que notre pays a connues du milieu des années 1980 à nos jours. Elles ont entraîné un effacement des points de repère traditionnels et des évolutions spectaculaires des comportements électoraux.
Cet essai aide à mieux comprendre ce qui se passe dans la tête des Français au moment de se rendre aux urnes. Qu’est-ce qui pèse désormais le plus, partout en France, sur le choix du bulletin ?
Longtemps, la France fut agricole et rurale. Le statut de la propriété agricole, l’empreinte plus ou moins forte du catholicisme, les structures familiales traditionnelles, le poids des événements historiques déterminaient grandement le vote. Désormais, d’autres paramètres comptent davantage, comme le degré d’implantation des services publics, la proximité avec les hubs et les axes de circulation de l’économie mondialisée ou encore le prix de l’immobilier.
Sans oublier, dites-vous, le poids croissant des déterminants individuels…
Le vote s’individualise en effet de plus en plus. Dorénavant, la variable sociologique (profession, niveau de revenu, classe sociale), associée au niveau de diplôme ainsi qu’à l’âge, joue beaucoup dans la formation des opinions politiques. Ainsi 31 % des 18-24 ans et 34 % des 25-34 ans, membres de la “génération climat”, ont été séduits par Jean-Luc Mélenchon et sa planification écologique. A contrario, les retraités de la génération du “papy-boom” ont voté en masse en faveur d’Emmanuel Macron (il a obtenu 39 % des voix des 65 ans et plus). Les seniors, par leur nombre et leur participation civique, ont joué un rôle central dans les dernières élections présidentielles.
Vous l’avez dit, le lieu de résidence impacte lui aussi grandement le vote. Et il ne s’agit pas seulement de la France des villes, pro-Macron, contre celle des campagnes, pro-Le Pen…
En effet, la trajectoire économique d’un territoire pèse également sur les comportements électoraux. Ainsi une étude de l’Ifop réalisée en 1963 montre combien les habitants du nord-est de la France, alors en plein essor industriel, voyaient leur région comme la locomotive du pays. Cinquante ans plus tard, ce n’est plus le cas et cela se répercute dans les urnes, avec un vote favorable à Marine le Pen dans de nombreuses communes nordistes. De même, si le territoire bénéficie de retombées économiques importantes liées au tourisme (littoraux, vignobles, grands sites), ses habitants seront nettement plus enclins à plébisciter Emmanuel Macron.
Même l’altitude de la commune n’est pas anodine : vous avez observé que plus cette dernière augmente, plus le vote en faveur de Jean Lassalle a progressé. Comment l’expliquez-vous ?
La candidature de cet élu béarnais a en effet rencontré un certain écho dans les Pyrénées mais aussi dans le Massif central, la montagne ardéchoise, le sud des Alpes et la Corse. Car son discours sur la disparition des services publics en zone rurale et sa défense d’un mode de vie traditionnel et des agriculteurs ont parlé aux habitants de ces zones montagneuses.
Vous évoquez en outre la fin des fiefs traditionnels de certains élus. La Corrèze chiraquienne, la Nièvre mitterrandienne, c’est terminé : en 2017, la Nièvre n’a accordé que 6,5 % des voix au candidat du parti socialiste, Benoît Hamon, contre 24,8 % à Marine Le Pen et 22,7 % à Emmanuel Macron, candidat réputé “hors sol”. À quoi doit-on cette évolution ?
Il s’agit d’une illustration supplémentaire, au niveau local, du grand big bang électoral et du passage à ce que j’appelle “la France d’après”. Partout, les fiefs et les traditions électorales locales, qui pesaient parfois depuis la Révolution, ont été dynamités. Marine Le Pen est arrivée en tête à Château Chinon, fief nivernais de François Mitterrand, et à Carmaux, terre d’élection de Jean Jaurès. Quant au président sortant, initialement marqué au centre gauche, il a recueilli en 2022 au premier tour 46,8 % des voix dans le XVIème arrondissement de Paris, son score progressant de vingt points en cinq ans dans ce bastion de la droite.
In fine, qu’est-ce qui vous a le plus étonné lors de la rédaction de ce livre ?
Je suis au quotidien les évolutions de mon pays. Mais l’ampleur et la vitesse des transformations des comportements électoraux sont spectaculaires. Songez que dans 5 700 communes, la candidate socialiste a obtenu moins de 0.5 % des voix ! Quand on se plonge dans les chiffres et les cartes, on prend véritablement la mesure des changements opérés et l’on voit se dessiner le visage politique de cette France d’Après.